Menée contre vents et marées, la stratégie d’indépendance de Jean-Pierre Denis, le président du groupe brestois, qui regroupe le Crédit Mutuel de Bretagne et ceux du Sud-Ouest et du Massif central, est largement devenue celle d’un écosystème, Finistère en tête, et de ses réseaux au service de la cohésion du territoire.
Patrons de grands groupes, CCI régionale, entreprises et dirigeants du numérique ainsi qu’une bonne partie des représentants et des instances politiques de la région, LR, LRM, MoDem et PS, soutiennent le processus de scission de la filiale bretonne du Crédit Mutuel. Arkéa a su rallier des voix en dénonçant une politique de centralisation de l’organe central qui pourrait menacer des emplois (le chiffre de 4.500 suppressions de postes est évoqué, dont un millier à Brest) et pénaliser ses investissements dans les entreprises régionales. En Bretagne, la décentralisation n’est pas un vague concept.
Une mobilisation de salariés, d’élus et d’entrepreneurs
Des élus et des entrepreneurs de la région se sont joints le 17 mai aux salariés lors d’un grand rassemblement organisé à Paris : plusieurs milliers de personnes (4.000 selon la police, 6.000 selon les organisateurs, dont 5.500 salariés) ont ainsi défilé entre la place de la Bastille et Bercy, à l’appel du collectif de salariés Indépendance pour Arkéa. Ils voulaient se faire entendre par Bruno Le Maire en marchant jusqu’au ministère de l’Économie et des Finances.
À Brest, une première mobilisation, en janvier 2016, avait réuni 15.000 personnes.
« Nous voulons réagir à une volonté de centralisation de la Confédération nationale du Crédit Mutuel affichée depuis 2015 et qui menace les emplois et les valeurs mutualistes », précise Anne-Katell Quentric, porte-parole du collectif qui se déclare représentatif d’une grande majorité de salariés. « Des collègues du Crédit Mutuel du Sud-Ouest étaient d’ailleurs à nos côtés. » Mais pas les syndicats.
Dubitative sur le projet d’indépendance, jugé flou, la CFDT, majoritaire, soupçonnée de pencher vers l’organe central, a dénoncé des « pressions » du groupe breton sur ses salariés pour participer à « une manif’ tous frais payés ». « Si le projet est porteur de profits, d’emplois, de croissance… pourquoi est-il besoin de solliciter les salariés pour convaincre les autorités de tutelle et les pouvoirs publics ainsi que ses interlocuteurs ? » s’interroge le syndicat.
D’autres salariés évoquent anonymement sur Twitter « le coût exorbitant de la journée #arkeaindependant. Un total supérieur à 3 millions d’euros », financé par le groupe (donc les sociétaires). Et sponsorisé par Armor Lux, qui a fourni les bérets rouges (et gris) ! Jean-Guy Le Floch, le patron de la marque de vêtements, faisait en effet partie du cortège, aux côtés d’entrepreneurs comme Christian Guillemot, d’Ubisoft, mais aussi d’élus : des Finistériens, comme le maire PS de Brest François Cuillandre, le député (LRM) Didier Le Gac ou le maire « frondeur » de Carhaix à l’origine du mouvement des bonnets rouges, Christian Troadec, et des Costarmoricains comme le député LR Marc Le Fur. Ce dernier est le signataire, aux côtés d’Erwan Balanant (MoDem, Finistère), Didier Le Gac et Graziella Melchior (LRM, Finistère), d’une lettre adressée début mai à Bruno Le Maire, lui demandant de permettre que le processus d’indépendance d’Arkéa puisse aller à son terme, « sans entrave à la volonté citoyenne » et dans « un climat apaisé ».
Le mouvement est également soutenu par les associations de maires bretons des quatre départements et par la Région. Le président PS du conseil régional, Loïg Chesnais-Girard, avait déclaré en février vouloir « le succès du projet d’indépendance, qui doit développer l’économie, les centres de décisions et l’emploi en Bretagne ». Insistant sur la logique de partenariats existant entre la Région et le monde bancaire implanté en Bretagne, qui « sait s’impliquer pour l’économie bretonne », le conseil régional traduit ce que les milieux d’affaires et certains élus pensent d’Arkéa : un « fleuron breton, reconnu comme un pilier de l’économie numérique française, proche des chefs d’entreprise et des élus locaux », selon la lettre des députés au ministre.
« C’est la plus grosse entreprise du territoire en termes d’emplois »
« C’est un soutien franc et entier de l’ensemble de l’écosystème », se félicite d’ailleurs l’entrepreneur Charles Cabillic, cofondateur du fonds, lié à Arkéa, West Web Valley, avec Ronan Le Moal et Sébastien Le Corfec, et initiateur du collectif Avis de tempête. Composé à l’origine de 150 entrepreneurs, dont quelques membres, comme Jean-Pierre Denis, du Club des Trente (un groupe de réflexion qui réunit une soixantaine de grands patrons bretons au service de la Bretagne), d’associations et d’élus bretons, ce collectif a lancé mi-février une pétition sur change.org.
Rejetant « l’OPA hostile du CM11CIC », il revendique plus de 50.000 soutiens et 450 personnalités signataires : des Bretons comme Gilles Falc’hun (président de Sill Entreprises, groupe d’agroalimentaire regroupant des marques comme Malo, Le Gall, Matines, et dont Arkéa est actionnaire), Christian Guyader (rillettes et terrines Guyader Gastronomie), Patrick Le Lay (ancien PDG de TF1), mais aussi des partisans extérieurs.
L’ex-ministre Fleur Pellerin (Korelya Capital), Marie Ekeland, du fonds Daphni, ou Frédéric Mazzella, de BlaBlaCar, ont signé la pétition. Ces patrons du numérique ont l’habitude de se retrouver chaque année en juillet au West Web Festival de Carhaix, durant les Vieilles Charrues.
Ces soutiens veulent « défendre le maintien en Bretagne de la plus grosse entreprise du territoire en termes d’emplois (dont 2.200 au siège) et d’impact sur l’écosystème ».
Deux tiers des entreprises régionales seraient en relation avec la banque. Face au fossé qui se creuse entre Rennes et le Finistère, Arkéa encourage les initiatives de la pointe bretonne. « Arkéa irrigue le tissu local et participe au financement de grands projets régionaux », fait valoir Édouard Coudurier, Pdg du groupe Le Télégramme. Selon Jean-Guy Le Floch, Arkéa représente « une masse salariale de l’ordre de 500 millions d’euros réinjectée par an en partie dans l’économie bretonne ».
« Le groupe joue aussi un rôle majeur dans le développement des entreprises et le dynamisme du territoire breton en termes d’investissement, de participations, de trésorerie » relève Frank Bellion, président de la CCI métropolitaine Bretagne ouest, vice-président de la CCI Bretagne et dont la famille est à l’origine du groupe brestois de négoce Cofibel.
« Très investi dans l’écosystème lié à la mer [Arkéa Capital et le Crédit Maritime Bretagne-Normandie ont créé en octobre 2017 un fonds de 10 à 12 millions d’euros dédié aux activités de la pêche en Bretagne, ndlr], il est aussi pour les PME sous-traitantes un gros donneur d’ordre », ajoute-t-il.
Une pétition contre « l’aventurisme »
Dans ce concert de louanges, des voix dissidentes s’élèvent. D’autres personnalités politiques font part de leurs doutes, comme Marylise Lebranchu (ex-ministre et exdéputée PS du Finistère) ou Christine Cloarec, députée LRM d’Ille-et-Vilaine, qui écrit sur Twitter :
« Cette volonté d’indépendance est contraire aux valeurs de l’économie sociale et solidaire que je défends. »
En cela, elle se dit d’accord avec le Collectif des mutualistes bretons, monté pour « rester sociétaires de leur Crédit Mutuel ». Formé d’une quinzaine de personnalités comme l’universitaire Yves Morvan, ancien président du Conseil économique et social de Bretagne, Philippe Noguès, ex-député du Morbihan, et d’anciens cadres et responsables de la CFDT du Crédit Mutuel, ce collectif dénonce « l’aventurisme » de la direction d’Arkéa, soupçonnée de s’être lancée dans une aventure personnelle. Sa pétition en ligne, sur change.org, a recueilli plus de 20.000 signatures.