Question écrite N°17818
Voir aussi : Relation agriculteurs-riverains : Mon interview pour © Bretagne Bretons
Texte de la question
Didier Le Gac attire l’attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la question des recours de riverains à l’encontre d’exploitants agricoles. En effet, il a été alerté par plusieurs éleveurs et agriculteurs de sa circonscription qui font l’objet de recours déposés par des riverains hostiles à tout aménagement de leur exploitation. Ainsi, un jeune éleveur bio de 120 brebis et 16 bovins dont l’exploitation jouxte les 70 hectares n’a pas pu procéder à la construction d’un bâtiment nécessaire à son activité et pour lequel il avait obtenu toutes les autorisations et le permis de construire.
Un recours déposé par 19 riverains a empêché l’édification de ce bâtiment, ce qui a pour conséquence très concrète que les brebis mettent bas en extérieur, que l’on relève une surmortalité des animaux du cheptel et que le jeune agriculteur a décidé de vendre ses terrains. Une jeune maraîchère bio a, elle aussi, vu un riverain engager un recours contre la clôture d’une parcelle de son exploitation, amputant son projet de 6 000 m2, et contre le permis de construire un hangar de 400 m2 qui lui aurait permis de stocker du matériel ou de recevoir des stagiaires dans de bonnes conditions. Ayant déposé un second permis qui lui a été accordé, elle doit, en raison de ces recours, faire face à des frais imprévus qui l’empêchent de dégager des revenus et par voie de conséquence, de bénéficier de la prime de retour à l’emploi.
De plus, le versement en fin d’année de la seconde partie de la dotation jeune agriculteur (DJA) qui lui avait été accordée, pourrait être bloqué et elle pourrait devoir être contrainte de rembourser le premier versement déjà perçu puisque son plan d’entreprise a été modifié. Un jeune éleveur de poules doit lui faire face à une fronde menée par 26 riverains qui s’opposent à la construction d’un poulailler pour 30 000 poules pondeuses en plein air. En attendant que la justice se prononce, son projet est bloqué pour environ quatre années. Pour chacun de ces cas, c’est au nom du respect de la loi littoral (une commune sur trois du Finistère est dépendante de cette loi et 40 % des agriculteurs du département sont concernés) que les riverains déposent des recours. Ces recours sont reconnus par les agriculteurs du département et leurs représentants comme étant assez largement abusifs de la part des riverains et ne permettant pas la viabilité des installations des jeunes agriculteurs. Le monde agricole départemental ainsi que beaucoup d’élus locaux plaident pour un droit à l’expérimentation, pour que la justice puisse se prononcer plus rapidement et que des projets ne soient pas bloqués plusieurs années contraignant de jeunes exploitants à « jeter l’éponge ».
C’est la raison pour laquelle il lui demande quelles mesures le Gouvernement entend prendre pour lutter contre les recours abusifs visant notamment des activités économiques, accélérer les décisions de justice quand elles concernent la pérennité économique d’un projet agricole et proposer un « droit à l’expérimentation » sur certaines zones du territoire.
Texte de la réponse
Le Gouvernement n’est pas resté sans réagir face à la question du maintien de l’activité agricole dans les communes littorales.
Ainsi l’article 43 de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) du 23 novembre 2018 modifiant l’article L.121-10 du Code de l’urbanisme dispose que « les constructions ou installations nécessaires aux activités agricoles ou forestières ou aux cultures marines peuvent être autorisées avec l’accord de l’autorité administrative compétente de l’État, après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites et de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. ».
Cette disposition, qui abroge la notion d’« incompatibilité des constructions agricoles avec le voisinage existant » devrait permettre à l’avenir aux exploitants agricoles concernés d’être mieux armés dans la défense de leur dossier et moins souvent confrontés aux recours des tiers.
Dans les cas cités, les exploitants agricoles ont cependant d’ores et déjà obtenu leur permis de construire et ont donc fait la démonstration de la nécessité de ces constructions pour le développement ou le maintien de leur activité. Ils se trouvent malgré tout confrontés à des recours de riverains pouvant mettre leur exploitation en danger. La lutte contre les recours abusifs en urbanisme figure parmi les grands axes annoncés par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale du 4 juillet 2017. Pour ces raisons, le Gouvernement a confié à Mme Christine Maugüé, conseillère d’État, une mission visant à évaluer les dispositions existantes en termes de lutte contre les recours abusifs, et à proposer les améliorations adéquates.
Pour conduire cette mission, un groupe de travail associant notamment les professionnels concernés, des magistrats, des représentants du Conseil d’État, du ministère de la cohésion des territoires et du ministère de la justice a été constitué. L’analyse de ce groupe, qui a par ailleurs procédé à plusieurs auditions, a porté sur 110 propositions émanant de ses différents membres.
Il en est résulté une série de propositions législatives et réglementaires contenues dans le rapport « Propositions pour un contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace », remis le 11 janvier 2018.
Un grand nombre de ces propositions, dont plusieurs concernent les recours abusifs, figurent dans la loi ELAN du 23 novembre 2018 et dans le décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018 portant modification du code de justice administrative et du code de l’urbanisme, ce dernier comportant également la mise en place d’un délai de jugement pour les recours contre certaines autorisations de construire.
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